Ici, en coulisses, je souhaite évoquer des événements marquants dans mon expérience professionnelle, et peut-être vous apporter un regard différent sur chaque création. Je commence par la plus ancienne et continuerai jusqu’à la plus récente.
Oscar
et la dame rose :
C’est
le premier texte que j’ai choisi et proposé pour la programmation d'Action
Culturelle - IVT en 2007. Le travail a évolué sur deux ans. J’ai découvert
ainsi avec Delphine Leleu le travail d’adaptation en langue des signes. Ce sont
des outils de base indispensables qui ont nourri par la suite tous mes travaux
artistiques. Nous cherchions une méthode de transcription des mots en images. Cette
exploration des techniques d’adaptation était très enrichissante. Je pense que
« Oscar et la dame rose » était
un texte particulier à nos yeux :
il était presque notre « enfant ». Nous y mettions toute notre
énergie et notre force car … personne ne croyait en nous. Notre ferme
détermination a engendré une « présence » spéciale et la plupart des
spectateurs ont été marqués par ce spectacle. A sa création en 2008, j'étais
seul sur scène mais pour sa reprise l’année suivante dans le cadre des Jeunes
Talents - IVT, nous y avons apporté quelques modifications. C'est ainsi que la
talentueuse Isabelle Voizeux et le passionné Vincent Bexiga sont venus agrandir
l’équipe. Plus tard, à la demande du Festival Clin d’œil , nous avons à
nouveau adapter cette pièce en Signes Internationaux.
Le
médecin malgré lui :
Delphine
voulait adapter une pièce de Molière, car elle aimait la farce et avait une
admiration profonde pour « l’Avare »
créée par IVT (Al. Corrado) dans les années 80 avec une dizaine de comédiens
sourds. Notez qu’à l’époque, c’était la toute première fois qu'en France une
pièce classique était adaptée et jouée en langue des signes. Delphine m’a
demandé de l’assister et nous avons travaillé avec des sourds qui n’avaient
aucune ou peu d’expérience de la scène. Sur une période d’un an, nous nous
sommes engagés à leur donner
quelques leçons de base de théâtre. En retour, nous apprenions à gérer la
psychologie de groupe, les écarts de niveau de langue et l'équilibre à trouver
entre les timides, les extravertis. La convivialité et la dynamisme du groupe
ont beaucoup marqué mon esprit. Comme dans « Oscar et la dame rose », nous avons réfléchi ensemble sur
comment traduire les mots et les insultes archaïques par des images très
parlantes, en tout restant fidèles au registre.
Pourquoi ? :
En
deux ans de projets communs avec Delphine, une forte complicité s’est tissée.
Nous avions encore envie de collaborer mais nous voulions quelque chose de plus
original. Vu que 80% de sourds ne sont pas à l'aise avec l'écrit, et que par
conséquent ils ont peu accès à la culture en général, nous désirions leur
apporter des informations qu'ils pourraient réutiliser tous les jours. Nous
avions fouillé, démonté notre quotidien : des habitudes sont fortement
ancrées ; que sont vraiment les traditions, les superstitions? Pourquoi
ont-elles une place si importante dans nos vies ? On se posait beaucoup de
questions. « Pourquoi ceci, pourquoi cela ». Voilà pourquoi le titre de cette
création est « Pourquoi ? ».
Elle a offert aux comédiens une relation chaleureuse et inattendue avec le
public, grâce à sa simplicité et son intérêt pour la vie. Comme quoi, les
humains aiment apprendre en s’amusant. Après la représentation, nous avons eu
droit à un petit mot d’un diacre sourd « Pardi, c’était cela ! Dire
que l’ignorance datait de 70 ans, merci » Ça fait plaisir !
Le
Tableau Enchanté :
Die
Heterophobie :
Ce projet de Türkis – compagnie de théâtre de berlinois
sourds amateurs et professionnels – a été créé spécialement pour le Festival
Clin d’Oeil en 2007. J'ai intégré le projet pour sa reprise à Berlin en juin
2012. L’histoire est simple. Elle invite
les spectateurs à prendre conscience des violences subies par les gays
dans la vie réelle au travers d’une histoire inversée : tous les hétéros
sont rejetés par la société. La question de la transmission du message a été la partie la plus difficile du
travail. La violence liée à l’homosexualité possède plusieurs visages et les
contextes peuvent être très variés. De plus nous voulions que cela soit
présenté de manière réaliste, malgré l'inversion des mondes, avec une petite
dose d’humour. Ma place était plutôt celle d’un conseiller artistique car la distribution
était déjà bouclée et et les costumes déjà choisis. Je leur ai demandé de procéder
en trois étapes de travail : premièrement, ne connaissant pas la Langue
des Signes Allemande, je leur proposai de travailler en Signes Internationaux
pour vérifier la cohérence des répliques de chaque protagoniste. Comme la
classification catégorique entre méchants et gentils ne reflète pas la réalité
de la nature humaine, je leur ai proposé de créer ensemble différents profils
et rebondissements psychologiques pour les personnages. La deuxième étape
consistait en la traduction vers leur langue. Pour ça, je leur faisais
confiance. Enfin dans la dernière étape, je suis intervenu à nouveau pour la
mise en scène. J’ai rencontré quelques difficultés techniques. J’ai dû modifier
mon idée de départ pour l'adapter à l’espace scénique. Le stress était décuplé
par le fait que j’étais en territoire étranger. Cela n’a pas amoindri la
qualité de notre travail, bien heureusement !