Je veux écrire un billet "spécial" pour vous présenter le Dragon, un projet hors norme mis en scène par Stéphane Douret auquel je suis fier d'avoir participé. Je dis “projet hors norme” pour plusieurs raisons: l’une d’entre elles, mais sans doute la plus importante, est qu’il ne m’était encore jamais arrivé de travailler au sein d’une équipe où personne ne maitrise la langue des signes couramment. Autant dire: un pari fou !
En quelques mots, “Le Dragon” est
une pièce russe écrite par Evgueni Schwarz, une parabole sur le pouvoir, ses
abus, et la responsabilité populaire dans la mise en place et le maintient des
régimes dictatoriaux. C’est à ce jour la plus grosse création à laquelle j’ai participé
: vingt comédiens sur le plateau, des costumes créés spécialement pour le
spectacle, des effets spéciaux, 40 représentations sur Paris… Une grosse
organisation, donc!
C'est après m’avoir vu dans « Oscar
et la dame Rose » que Stéphane Douret a exprimé son désir de travailler
avec moi, et par la suite m’a proposé le rôle de Monsieur Chat dans “Le
Dragon”. Dans le texte original, ce personnage a des répliques mais dans sa
version, Stéphane a choisi de ne pas le faire parler (puisque c'est un animal !).
D’où l’idée ingénieuse de collaborer avec un comédien sourd. Ce rôle me fait un
peu penser au chat botté : « Une âme féline dans un corps humain ». Nous
avons donc travaillé sur une attitude humaine, mais avec quelques clins d’œil
souvent amusants pour marquer sa différence avec les autres personnages. Dans
l’histoire, Monsieur chat, désespéré par la mort prochaine de sa maîtresse,
devient le meilleur ami et l’allié d’un « Héros professionnel », un chevalier
courageux, idéaliste, mais un peu maladroit prénommé Lancelot. Une place
importante dans l’histoire, puisqu’à plusieurs reprises, il vient en aide à son
nouvel ami...
J’avais beaucoup aimé la dernière création de Stéphane « LE MANDAT » de Nikolaï Erdman. Son univers m’avait bien plu. De surcroit, il est très rare qu’un comédien sourd soit choisi comme comédien à part entière, et non comme « sourd ». Je me suis donc jeté à l’eau. En toute honnêteté dans ce projet, j'ai énormément appris sur moi-même et mes relations avec l'extérieur. Pendant les répétitions, étalées sur plusieurs mois, j’ai rencontré autant de difficultés que de joies à travailler avec l’équipe. Très vite, des problèmes de communication et d'accessibilité aux informations ont surgi. En raison d' aides financières insuffisantes, je ne pouvais pas toujours faire appel à un interprète. Les conditions de travail étaient donc difficiles, et même, parfois, violentes psychologiquement. Car ayant grandi dans un univers "signant", je n'ai pas pour habitude de participer peu aux échanges. Cette période a été dure et il m'a fallu entreprendre une profonde introspection pour relativiser. Malgré tout, collaborer avec cette équipe m’a permis d’explorer un terrain nouveau. Je les remercie encore d’avoir appris quelques notions de LSF pour communiquer avec moi, faute de quoi mon intégration aurait été compliquée, voire impossible. Leur découverte "linguistique" – je ne me lassais pas des malentendus et de leurs lapsus amusants – a crée entre nous une complicité particulière. C’est grâce au travail avec cette troupe et parce que j'étais totalement privé de retour sur le texte et les émotions des autres comédiens que j’ai pris conscience de leur importance. Je n’y avais jamais réfléchi auparavant avec les comédiens sourds, vu que tout se passait naturellement. Comme je n’entends pas (mais alors, rien du tout!), j’ai d'abord essayé d'apprendre toutes les répliques par cœur. Mais à force de les guetter en lecture labiale et de me focaliser sur des repères, je me suis senti freiné dans mon jeu : la créativité demande de la liberté. Puis, le stress de ne pas pouvoir toujours tout contrôler me prit et s'installa pour un bon moment. Jusqu'au jour où j’ai tenté d’avoir recours à l’imagination et l’intuition en observant les scènes, muettes, ... par les poils de ma moustache ! Cette technique a énormément contribué à l'évolution de mon personnage. Soudain je me sentais libre, indépendant comme... un chat ! C'était une belle revanche féline sur les obstacles rencontrés. Cette révélation a intensifié le plaisir que j'avais à travailler sur Monsieur Chat et j'ai eu, par la suite, une envie folle d'innover et d'ajouter par-ci, par-là des petits détails dans mes mouvements, mes réactions aux personnages, et notamment la chorégraphie de l'écharpe de 3 mètres tricotée par notre chère Lise Douret. Je voudrais terminer ce texte plein de souvenirs et d'émotions, en remerciant infiniment Stéphane Douret pour ce joli rôle et pour m'avoir offert la chance inouïe de participer à un tel projet.
À toute l’équipe du Dragon que
j’envoie tout mon ronronnement.
Ludovic
Vidéo : http://www.visioscene.com/bande-annonce/41118/Le+Dragon
